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06/04/2008

L´Imbabura (4/4)

Je continue ma marche en direction de l´Imbabura, entre les champs de maïs. Lorsque le vent souffle, ça fait un bruit impressionnant, le maïs. Je me retrouve sur un autre chemin de terre, bordé de maisons en terre. Ici je sens que c´est une autre vie. Une famille est installée sur le pas de la porte, il faut dire qu´aujourd´hui est un jour de soleil éclatant. Je demande si je peux continuer dans cette direction pour aller vers la montagne. “Oui, mais ne te perds pas!”. Ici, les gens me disent tous bonjour, et ont l´air bienveillant. Je tourne a droite. Une main, au milieu d´un groupe d´hommes que je salue, se tend vers moi avec un petit verre en plastique blanc. Une vingtaine d´Indiens discutent debouts, ou assis dans l´herbe, éparpillés devant  deux ou trois maisons. Les hommes sont pratiquement tous en poncho bleu. Ca me fait bizarre de voir plein de gens avec le même poncho bleu que José, en tissage très épais. Je refuse le verre, j´explique que je vais marcher a la montagne, et qu´avec le soleil, je ne peux pas boire… mais rapidement je comprend que ce n´est pas tellement possible de refuser. Aussi, je bois le verre de liqueur que l´on me propose. Les questions fusent. Qu´est-ce-que je fais la, de quel pays je viens, ou je vais, ect. Un Indien en veste en jean me parle beaucoup, il travaille à Quito, à Chillogallo et a une petite maison par ici. Je raconte ma vie, que je vis a Quito, avec… un Otovaleño, c´est-a-dire un homme originaire de la ville voisine. Autour de moi, ça parle quetchua dans tous les sens. Est-ce que mon mari est indigène? Ou est-ce que je l´ai rencontré? Je n´échappe pas a un second verre d´alcool, après une limonade bienvenue. Je ne manque pas de dire que je ne comprend pas bien l´espagnol, après que le jeune Indien ait fini un grand discours concernant l´enseignement aux Etats-Unis de je ne sais quoi par je ne sais qui, et de cours de quetchua a Quito. Je remercie et salue tout le monde, et aussi les quelques femmes qui sont assises un peu plus loin, et reprend ma route. L´idée me vient que, aujourd´hui c´est Pâques, et que dans quelques heures toute ma famille va bientôt chercher des oeufs en chocolat derrière les pots de primevères. Sur la route, je salue encore une grand-mère assise sur son pas de porte. Elle me demande où je vais et me dit de faire attention de ne pas me perdre. Voila qui est rassurant… Je croise une autre femme qui porte un bébé qui pleure parcequ´il est malade. Elle me prévient qu´il va pleuvoir. Mais, comme je vis a Quito, et que je me gèle sous la pluie depuis deux mois, j´ai pris l´habitude de ne jamais me séparer de mon parapluie. Ensuite, je ne croise plus que des cochons qui dorment au milieu des champs. Le chemin m´enmène jusqu´au pied de l´Imbabura. Depuis le temps que j´en entendais parler dans les chansons en quetchua, Im-ba-bu-ra, Im-ba-bu-ra!

Lorsque je commence a tourner le dos a la montagne pour redescendre, la pluie arrive. Je croise une famille qui est venue jusqu´ici pour ramasser des mures (Ah oui? Il y a des mures en France?) et qui court s´abriter sous les arbres. Je redescends tranquillement sous mon parapluie, dont je bénis l´invention comme celle du Gore-tex. L´averse est impressionnante. On ne voit plus les gardiennes de vaches qui se sont entièrement couchées sous de grandes bâches en plastique. Je ne sais comment, je ne retrouve pas exactement le même chemin jusqu´au bourg. Je demande la direction d´Otavalo et au passage, le nom du village ou je me trouve. Agato. Ca me dit vaguement quelquechose.

A José aussi, ça dit vaguement quelquechose. Il me regarde avec des yeux tous ronds: “Agato? Tu es allée a Agato? C´est la ou j´ai grandi… et toute ma famille vit la-bas.” Allons bon, voila que j´aurais bu une liqueur avec ses cousins…

Un doux souvenir de mygale (3/4)

Le lendemain matin, je pars en direction de la cascade de Peguche, une très belle cascade en bordure de la ville avec l´intention de me rapprocher de l´Imbabura, une des grandes montagnes qu´on voit depuis Otavalo. Il a tellement plu ces derniers mois qu´il est impossible de regarder la cascade en face, elle arrose généreusement tous ses visiteurs.
Je repars dans des sentiers de traverse au milieu des eucalyptus, en direction de la montagne, traverse un petit chemin ou deux garçonnets emmènent deux vaches noires, et reprend a flanc de montagne au bord de prés cultives. Tout en haut, un petit village, au loin, devant moi, la grande montagne. Je m´éloigne du sentier, attirée par une maison en terre qui semble abandonnée. A mes pieds, un trou dans la terre d´une dizaine de centimètres de diamètre m´arrête tout net. J´ai l´impression d´y voir bouger lentement de grandes pattes noires que j´identifie immédiatement comme celles d´une mygale. Je ne sais pas s´il y en a dans la région, mais je ne prend pas tellement la peine de vérifier. J´apprends plus tard que c´est tout a fait possible a cet endroit, pas trop éloigné de la cascade, dont l´humidité est très appréciée de ces petites bêtes. Après avoir appris a mes dépends qu´ici, il ne faut jamais s´aider des mains pour grimper dans les montagnes, surtout sans regarder, car on risque très souvent d´épineuses surprises, je déduis qu´il n´est également pas forcément une bonne idée de marcher en dehors des sentiers, si ténus soient-ils. Donc, je me remets sur le droit chemin, tant pis pour la maison en terre que j´avais bien envie d´explorer. J´en ai pourtant croisé quelques unes, des mygales. Mais, dans la chambre de mon amie Sylvie qui en faisait des élevages au collège, ça faisait pas le même effet. Je me souviens, elle mettait chaque bébé mygale dans un petit pot séparé des autres, parce-que sinon, ils se prennent pour des biftecks. J´ai appris a cette époque de nombreuses choses tres passionnantes sur les mygales. Notamment, qu´avant de féconder une femelle, le male tremble de peur, et que pendant l´accouplement, il est obligé de lui retenir ses membranes venimeuses pour travailler tranquillent. Une fois qu´il a fini, il déguerpit, et s´il ne court pas assez vite, il succombe sous la fougue venimeuse de sa partenaire.

José, qui vivait dans la région où je marchais ce jour-là, m´a raconté à l´occasion de cette anecdote, le souvenir d´une mygale qu´il avait trouvée quand il était petit. Il était avec son grand-père, qui lui a demandé s´il voulait la ramener a la maison. José ne savait pas trop, alors son grand-père s´est mis a parler à la mygale. “Bonjour, qu´est-ce que tu fais la? Est-ce que tu voudrais venir vivre avec nous a la maison?” Le grand-père semblait écouter attentivement la réponse de la mygale, puis il a regardé José et a dit: “Tu peux la prendre, elle est d´accord pour venir avec toi.” Sur quoi, le grand-père est parti, laissant José avec la mygale. Il est resté à regarder la mygale toute l´après-midi, sans oser la toucher. Puis il est reparti sans la mygale. Mais avant d´arriver chez son grand-père, il a fait demi-tour. Ce n´était pas un ordre de prendre la mygale, mais c´était une parole de grand-père. Alors José a attrapé le corps de la mygale du bout des doigts, et est rentré a la maison avec elle. Lorsque son grand-père l´a vu avec la mygale, il lui dit que ce n´était pas ainsi qu´il fallait porter l´araignée, que s´il l´attrapait trop fort, elle risquait de se fâcher. Pose-la, je vais te montrer comment il faut faire. L´araignée retrouva le sol, et le grand-père posa sa main a plat par terre et dit a la mygale: “Tu peux monter!”. Et la mygale est allée s´installer dans la main du grand-pere. Elle a fait son nid pas loin de la maison des animaux, et est restée avec dans la maison pendant de nombreuses années. José ne se souvient pas comment elle disparut un jour.

San Antonio d´Imbara (2/4)

Pendant ce temps-la, nous explorions avec Anita, Omi et Rafaela, la petite ville de San Antonio d´Imbarra. D´abord dans les environs, à la campagne, où il existe encore tout près d´une église toute un ensemble de maisons ayant probablement plus ou moins une centaine d´années. Il existe très peu de maisons en terre de ce type aujourd´hui. Quand José a vu les photos, il pensait même qu´il n´y en avait plus du tout, et était très surpris. Son grand-père vivait dans une petite maison en terre avec un toit de paille comme l´une d´entre elles (voir les photos). Puis nous sommes allées dans le bourg, où il existe beaucoup de magasins de sculpteurs sur bois. Nous sommes arrivées a Otavalo en fin d´apres-midi, un peut tard pour visiter son célèbre marché, d´où José ramène de l´artisanat. Je décide de passer la nuit a Otavalo pour aller marcher dans les montagnes le lendemain. Anita rentre a Quito.


Voir l´album photos « San Antonio d`Imbarra, Peguche, Otavalo ».

Vendredi saint et le solstice de printemps, ou comment la croix de Jésus qui buvait du coca-cola fit cuire les aliments de la fete du solstice (1/4)

Anita me propose d´aller a Otavalo et San Antonio d´Imbarra. Hop, ses deux filles suivent, la très chipie Rafaela, et la très grande Omi. Petite escale dans le centre de Quito pour voir la procession. José m´a dit qu´il y a plein de “caricatures théâtrales” qui défilent ce jour-la. On s´approche près de la cathédrale et on arrive a se faufiler devant la foule. On s´infiltre dans une étroite file qui circule dans le sens de la procession. A partir de la, pas possible de faire marche arrière ni quoi que ce soit, il faut suivre le mouvement rapide, et surtout  faire très attention aux nombreuses mains qui se baladent dans tous les sens. Il y a une foule de pénitents… violets! C´est pop les processions ici. Aussi, il y a plein Jésus habillés en blanc, des grands et des petits, qui portent, assistés de quelques volontaires, des croix en bois. A coté de nous, il y a un Jésus a la peau caramel foncée et au visage mince qui bénéficie de toute mon attention. L´expression de ses yeux ronds, avec sa perruque de longs cheveux noirs hirsutes qui lui dégringolent jusque sur la moitié du front, me paraissent tout a fait digne d´intérêt. Et devant nous, il y a un petit Jésus d´environ 12 ans, avec une perruque bouclée, à qui on a grossièrement peint une fausse barbe sur les joues. La procession marche, puis s´arrête, et chacun remonte sa croix. Les gardes avec des casques en carton font la place en criant très fort sur un ton menaçant, et la procession reprend. Les curieux se mélangent aux visages fervents, et aux pique-pocket. Le clou du spectacle, c´est lorqu´une femme a l´expression pieuse tend un verre de coca-cola a Jésus. Elle ne le lâche pas du regard et ses yeux semblent dire “Oh, pauvre Jésus” pendant qu´il engloutit son soda.

A Quito, on ne rigole pas pour la semaine Sainte. La municipalité de Quito, via le service culturel, n´a pas dépensé moins de 300.000 dollars… rien que pour la messe, pour faire venir des prêtres et des chorales européennes. Je ne parle pas de tout le reste de la semaine, avec des concerts religieux de chorales étrangères dans toute la capitale. La ville de Quito, oui, vous avez bien lu. Que l´Eglise et l´État ne soient pas séparés, et que la religion soit subventionnée par la culture, pourquoi pas, ça, c est chaque pays qui décide. Ce qui est choquant, c´est que, pendant ce temps-la, les Indiens pour qui, a cette même époque, le solstice de printemps est aussi une fête sacrée, et bien les Indiens devaient aller se faire cuire un oeuf… avec 4000 dollars pour une grande Patchamanca* qui s´est déroulée le lendemain au Panecilio. Pour tous les Indiens de Quito, vous imaginez ce que ça représente. Rien. Et encore le responsable s´est battu pour obtenir cette modeste somme… qui, finalement, a été supprimée et allouée pour l´urgence des dégâts causés par les grandes inondations de ces deux derniers mois. En somme, les Indiens se sont retrouvés avec zéro patates pour leur Patchamanca de Printemps, tandis que les chorales viennoises chantaient Bach dans toute la ville. José était outré, et a raison, il a dit “que la culture paye des messes, soit, mais moi je paye mes impôts et le christianisme ne signifie rien pour moi, alors que la culture paye aussi pour ma culture!”. Les Indiens devaient donc chacun amener de la nourriture pour le solstice. Mais l´information n´avait pas circulé, et 500 Indiens se sont retrouvés au Panecilio sans rien à manger, ni bois pour chauffer les pierres. Alors chacun s´est collé a son portable, pour appeler qui la femme, qui, le frère, et faire apporter des patates, des fèves, et tout le nécessaire pour la Patchamanca. Un touriste autrichien qui se trouvait la par hasard, a aidé les Indiens aux préparatifs de la fête. Une équipe s´est organisée pour aller glaner du bois. Aussi, une grosse croix en bois fraîchement plantée a la suite de la procession de la veille, fut proposée par un Indien comme combustible. Les Indiens discutèrent d´abord entre eux pour savoir s´il était convenable ou non de brûler la croix, et finir par se mettre d´accord que la croix était un instrument de torture qui avait non seulement servi a tuer Jésus, mais énormément de gens de son époque. Par conséquent, il était bon de brûler cet instrument de torture. Les aliments purent ainsi cuire dans la terre, recouverts de pierres chaudes chauffées dans le feu. Voici comment les 500 Indiens réunis au sommet du Panecilio fêtèrent le solstice du printemps et comment la croix de Jésus, qui buvait du coca-cola, fit cuire les aliments de la fête du solstice du Printemps.

*patchamanca: tradition qui consiste à faire cuire des aliments dans la terre, représentant le principe féminin. Les aliments sont recouverts de pierres chauffées dans un feu, qui repésente le principe masculin. La Patchamanca peut se faire pour des occasions très diverses.